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Napoléon LaFossette

[TUTO] C'est quoi, le contrat d'artiste? [2/2]





Cette page consiste en la seconde partie du tuto « C’est quoi le contrat d’artiste ? » Dans la première partie, j’ai tenté d’expliquer en quoi consiste ce contrat. Désormais, je vais présenter le « pourquoi ? » de ce contrat, c’est-à-dire son intérêt pour chaque partie, mais aussi les formes piégeuses qu’il peut prendre.


1 - Quel intérêt chacun trouve-t-il dans le contrat d’artiste ?


D’emblée, il faut distinguer 2 cas de figures très différents : le contrat d’artiste de l’artiste installé et celui de l’artiste en développement. Pour les artistes installés, la logique n’est pas la même, et ce n’est pas à eux qu’est destiné en premier lieu ce tuto. Il s’agira donc surtout d’expliquer ce qui motive à signer un contrat d’artiste lorsque l’on est un·e artiste en développement ou un label désireux d’en produire.


Pour le producteur, le contrat d’artiste prend la forme avant tout d’un pari. Qui est à la fois artistique et financier. Sur le plan artistique, cela dépend de l’orientation du label : un label entièrement rivé sur la rentabilité n’a pas la même logique qu’un label cherchant à produire de beaux albums. Néanmoins, pour ceux qui souhaitent travailler ce qu’ils considèrent comme de la bonne musique, signer un artiste en développement, c’est décider de prendre le cap d’un bateau qui va s’aventurer sur une mer remplie d’inconnues mais de laquelle déboucheront peut-être des perspectives grisantes. Puisque chez un·e artiste en développement : tout est à faire. Bien sûr, si l’artiste intéresse un label, c’est que celui-ci y voit un potentiel, un intérêt musical, une démarche intéressante, un univers à développer. Mais, entre l’artiste qui enregistre un EP autodistribué dans sa chambre avec le beatmaker du coin et celui qui produit des albums qui créeront une fanbase solide et un succès critique, il y a quelques caps conséquents à passer. En conséquence de quoi, le but du label est de croire en sa propre capacité à accompagner le passage de ces caps, à mettre l’artiste dans les meilleures conditions et à permettre de faire briller tout le potentiel qu’il voit en l’artiste.



Maintenant, passons à l’aspect financier. Qui, pour le coup, concerne tous les labels. Et là aussi, signer un artiste en développement est toujours un pari. Puisque, développer un artiste, cela demande de faire des investissements non-négligeables, qu’importe la renommée actuelle de l’artiste en question. Ainsi, en développement, un artiste n’est que très rarement rentable pour le label qui investit sur lui. En effet, sauf cas rares, on ne crée pas un vrai public avec quelques milliers d’euros seulement d’investissement. La logique des labels est donc quasiment toujours la même : ils fonctionnent à perte au début, sur les premiers EPs ou le premier LP. Dans le but que ces investissements permettent de trouver un équilibre à moyen-terme puis de devenir rentable à long-terme. Parfois cela va plus lentement, parfois plus vite, il n’y a pas de règle. Mais cette logique des investissements précoces qui permettront de rentabiliser plus tard explique le fait que les contrats d’artiste portent rarement sur 1 ou 2 projets seulement. D’autant qu’au-delà des investissements directs sur la production, les clips ou la promotion et le marketing, il y a les investissements indirects que sont les salaires des équipes du label et toutes les charges de celui-ci.


Ces paris ne sont que rarement réussis (ainsi, 10% seulement des projets en major seraient rentables). Mais lorsqu’ils le sont, c’est le jackpot, et le producteur en sort grand gagnant. Puisque les droits sur les morceaux lui appartiennent, enrichissant son catalogue qui va lui permettre pendant de longues années de générer des revenus. Que ce soit par l’exploitation des morceaux ou par la cession des droits sur ceux-ci. C’est donc ça, le contrat d’artiste parfait pour un label : un investissement payant, qui lui génère des rentes confortables pour un certain nombre d’années et augmente la valeur de son catalogue.


Pour un artiste, l’intérêt principal de ce contrat est double lorsqu’il ou elle le signe. De une, il ou elle va être rémunéré·e pour faire de la musique, ce qui va lui permettre dans l’idéal de vivre tout simplement de la musique. Quel·le jeune passionné·e n’en rêve pas ? Puis, de l’argent et des compétences vont êtres investis sur sa carrière. Ainsi, lorsqu’on est un·e artiste qui ne génère que quelques euros en streaming chaque mois, que l’on aimerait sortir une mixtape et qu’un label propose de la produire en injectant 40.000€ sur celle-ci, l’aubaine financière est immense. Puisque cet investissement va permettre à la mixtape de gagner en qualité et de toucher un bien plus grand public potentiel. Elle va aussi permettre à l’artiste d’atteindre des collaborateurs artistiques avec qui il ou elle n’aurait pu travailler sans ces budgets. De plus, des personnes expérimentées, qui savent comment on produit un disque et comment on augmente ses chances de succès, vont consacrer beaucoup de temps de travail à celui-ci. En somme, ce contrat va peut-être lui permettre de faire décoller sa carrière et de proposer des projets plus aboutis musicalement. Alors certes, il ou elle ne touchera qu’une petite partie du chiffre d’affaires généré. Mais, mieux vaut toucher 10% de 20.000€ ou 100% de 300€ ?


Ça, c’est le schéma idéal, celui du contrat d’artiste sain par lequel tout le monde essaie de pousser dans le même sens. A l’inverse, il y a aussi des cas où le contrat d’artiste peut s’avérer être un gros piège, à même de gâcher un début de carrière. Certains labels cherchent simplement, par des contrats d’artiste, à verrouiller des artistes. Notamment chez les indépendants, on peut voir des producteurs qui ne savent pas vraiment ce qu’ils font, qui n’ont pas vraiment de moyen, qui attirent les artistes avec de belles paroles mais sont soit de piètres producteurs par la suite, soit incapables d’assumer les promesses qu’ils ont formulé. Ce qui aboutit souvent à de sacrées embrouilles, et à des contrats inutiles qui trainent dans le temps jusqu’à leur cassure (à l’amiable ou par le biais d’avocats). Le schéma peut aussi se présenter dans des labels installés, qui ont fait leurs preuves, mais au sein duquel l’artiste n’est pas une priorité (ce qui peut arriver par exemple lorsqu’il y a un changement de direction ou de chef de projet). Dans un tel cas, l’artiste risque de se retrouver dépendant du planning d’autres artistes plus importants aux yeux du label. Et quand on sait le besoin d’implication d’un label dans une carrière pour qu’elle ait des chances de franchir des paliers, un tel cas de figure ne sent pas bon du tout.


2 - Pourquoi signer des contrats d’artiste, alors que les licences et distributions existent ?


Parmi les propos démagos que l’on peut lire sur les réseaux sociaux à propos du contrat d’artiste, un revient en particulier : signer en artiste, c’est être un pigeon. Un con qui n’a pas compris qu’aujourd’hui, pour être bien, il faut être en indé. C’est-à-dire monter sa structure d’autoproduction et signer un contrat de licence ou, mieux encore, de distribution.


Evidemment, cette vérité générale n’a pas vraiment de sens. Puisque tous les artistes ne sont pas dans la même situation. Bien sûr, si avant de signer on est confortablement assis sur une base de 200.000 auditeurs mensuels sur Spotify, que l’on a dans son équipe des gens motivés, intelligents et connectés : la distribution ou la licence semblent être la meilleure solution. De une, parce que ces auditeurs existants permettent d’aller négocier des avances qui commencent à être confortables. De deux, parce que l’on est entourés de gens qui sauront nous aider à gérer notre structure et le travail de production avec succès. Et, les taux en licence ou en distribution étant bien plus élevés qu’en contrat d’artiste, on va se retrouver gagnant sur le terrain financier. Puis, on va rester propriétaire de ses masters. Alors, dans un tel cas, pour qu’un contrat d’artiste soit intéressant, il faut vraiment que le label en face promette de mettre le paquet à tous les niveaux. Mais, les artistes en développement n’ont pas tous cette chance-là. Certains marchent déjà mais n’ont personne de compétent à leurs côtés pour les assister dans cette tâche chronophage qu’est l’autoproduction. Tandis que d’autres ont encore très peu de succès, donc ne peuvent prétendre à des avances conséquentes et n’ont pas de fonds propres pour investir sérieusement sur leur musique. Alors, pour eux et elles, un bon contrat d’artiste avec un label motivé, intéressant et prêt à injecter des fonds, c’est une opportunité très bien venue. Pour les raisons exposées dans la partie précédente du tuto.



Enfin, certains diront que certes, c’est intéressant à court-terme. Mais qu’à long ça le devient moins, si l’artiste explose. On pense ainsi évidemment à certains rappeurs qui ont rapidement atteint des sommets, s’embrouillant alors avec le producteur qui les avait découvert lorsqu’ils n’avaient peu ou pas de public. Ce à quoi j’aurais tendance à répondre deux choses. Il est vrai que pour eux, il y a un gâchis d’argent, puisque sans renégociation, ils se retrouvent à toucher des pourcentages négociés alors qu’ils « n’étaient personne » sur des albums qui font double ou triple disque de platine. Mais, d’abord, c’est en partie le travail du producteur qui a participé à rendre cette trajectoire si brillante. Puis, grâce à ces investissements en temps et en argent qui ont aidé à former ce succès, l’artiste pourra à la fin de son contrat d’artiste aller négocier des contrats de licence ou de distribution à prix d’or.


Et là en vient l’importance de penser à long terme : signer un bon contrat d’artiste lorsque l’on n’a pas de renommée, cela peut permettre de devenir un artiste autoproduit très prospère sur le long-terme.


4 - De quoi se méfier, quand on se voit proposer un contrat d’artiste ?


Ces atouts du contrat d’artiste ayant été mis en lumière, il me semble important de conclure sur une mise en garde à propos des différents indices devant provoquer la méfiance lorsque l’on se voit proposer un contrat d’artiste. Des mises en garde dont une partie apparaissent déjà en creux de ce tuto voire de tutos précédents.


- Les contrats d'artiste trop longs. L'équilibre parfait entre les intérêts des uns et des autres semble être la sortie de 3 LPs (albums ou mixtapes), éventuellement précédés d'EPs. Pour le producteur, cela lui permettra d'investir en espérant devenir rentable sur le second ou troisième projet et de se donner à fond sur la carrière de l'artiste. Pour l'artiste, c'est long mais cela reste convenable puisque cela amène sur des périodes de 3 à 5 ans, dans le rap. Et une carrière dure plus longtemps que cela aujourd'hui lorsqu'on se crée une bonne fanbase. Par contre, au-delà, cela me semble excessif. A moins que l'artiste soit particulièrement productif et le label prêt à lui consacrer beaucoup de temps, un contrat sur 4 LPs ou plus ne me semble pas justifié aujourd'hui.

- Les labels poudre aux yeux. J'identifie 2 types de labels poudre aux yeux. Les très petits labels indépendants qui promettent monts et merveilles mais n'offrent aucune garantie. En particulier lorsque ces labels n'ont pas de vraie expérience, et cherchent juste à poser un peu d'argent sur un·e jeune qui marche bien, en espérant récupérer leurs investissement sans faire d'effort comme s'ils achetaient du Bitcoin. Puis, les labels utilisant leur nom ou l'aura de celui ou celle qui le gère pour signer plein de petits artistes, peu leur consacrer de temps et d'argent, et ne finir par se concentrer que sur ceux qui ont le mieux marché dans leur roster à rallonge. Ces label sont à fuir.

- Les labels aux effectifs trop changeants. Bien sûr, il y a beaucoup de turnover dans l'industrie de la musique. Mais un label dans lequel les équipes ne semblent jamais stables méritent pour moi d'être considérés avec crainte. Déjà parce qu'on ne sait pas qui va travailler le projet sur le long-terme, qu'il risque de ne faire que passer de mains en mains. Puis psychologiquement, pour l'artiste, c'est toujours plus rassurant de sentir la présence d'une équipe de travail qui se connait et qui a développé des liens avec lui ou elle.

- Les producteurs-managers. Si un·e gérant·e de label vous propose de prendre tout en main pour vous, c'est à dire vous produire et vous manager notamment: fuyez. Déjà, parce que c'est illégal. Puis, quel équilibre peut-il exister quand celui qui est censé défendre vos intérêts financiers est en même temps celui qui vous paye? A ce sujet, le podcast Featuring avec Sébastien Farran est éclairant.

- Les licences 360. Pour les raisons évoquées dans la partie 1 du tuto.


De manière générale, avant de signer: renseignez-vous. Posez des questions: à des gens de l'industrie, à des artistes signés ou ayant été signés dans ces labels. Ne vous censurez absolument pas dans cette démarche: le producteur n'a pas à mal le prendre. S'il ou elle le prend mal, c'est qu'il y a quelque chose de louche, tout simplement. Puisqu'en bon·ne professionnel·le, lui ou elle-même se renseigne sur les personnes et structures lui proposant des collaborations. Et, si vous pouvez avoir un manager ou un avocat pour vous défendre, c'est l'idéal.


Voilà pour ce tuto à-propos du contrat d'artiste en 2 parties. J'espère qu'il vous a été utile et que j'ai réussi à être à la fois complet et un minimum concis. N'hésitez pas à me signaler s'il vous semble y avoir des oublis flagrants, cela peut arriver. Enfin, si vous souhaitez creuser le sujet, je vous conseille l'excellent "La négociation du contrat d'artiste" écrit par Me. Jean-Marie Guilloux et publié aux Editions Irma (2017).


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